Transformation et innovation : empreinte de la culture dans un contexte incertain
Liberté et incertitude : lorsque la crise remet en cause nos croyances.
L’histoire est faite d’innovations et de transformations, intrinsèquement liée à la vie, la nôtre, celle de nos sociétés, rythmée par les morts et les naissances. Lorsque le contexte change, notre monde, mélange de systèmes, de technologies et de croyances s’écroule pour laisser la place à un nouveau monde à naître. Ce moment de basculement où l’ancien meure et où le nouveau n’est pas encore là nous plonge dans l’inconnu, un vide dans lequel nous projetons nos désirs, nos peurs et nos idéaux. Comment dépasser ces émotions et nos représentations pour comprendre ce qui se joue et être acteur de cette transition ?
Nous sommes aujourd’hui à un tel point de renversement où nos certitudes de liberté, de bien-être matériel et de sécurité sont remises en cause. L’économie déraille, le travail disparaît, l’état de droit protecteur impose des restrictions et montre ses limites. Tous ces symboles de liberté perdent leur sens face à un petit virus.
L’idée de « monde d’après », aussi rassurant soit-elle dans son concept, s’exprime encore avec le langage du monde d’aujourd’hui et n’en est qu’une pâle projection. Personne ne sait ce que sera ce monde. Chacun doit déjà affronter l’inconnu du monde d’aujourd’hui et passer les épreuves qui nous en libéreront. Ce qui est vrai pour notre société l’est également vrai pour l’entreprise.
Le premier challenge est de voir au-delà de nos représentations « rassurantes ». Nous pensions être plus forts que la maladie, cette « grippette » ! Nous étions convaincus de dominer la nature par toute notre science et qu’elle nous protégerait. Nous voilà désormais ramené à la réalité du monde, celle de l’interconnexion globale et des dépendances. Tout d’un coup, ma vie individuelle et ma sécurité dépendent de l’autre, de façon flagrante. Cet autre est la personne que l’on croise et dont on attend maintenant un respect strict des règles d’hygiène. L’autre est aussi un pays étranger qui nous approvisionne en matériel au gré de ses propres intérêts. La science semble de bien peu d’aide dans cette réalité et nous renvoie à notre illusion de liberté.
Le second challenge est de prendre sa part de responsabilité individuelle et collective dans cette situation d’interdépendances. Maintenant conscients d’une situation grave et en même temps ne disposant pas de solutions dans notre arsenal de croyances, nous projetons cette responsabilité sur l’autre et en faisons un bouc-émissaire. Nous nous souviendrons du « virus chinois », mais aussi du sentiment d’avoir été « floués par le gouvernement sur les masques ». Elu pour faire notre bonheur, ce gouvernement se retrouve pris dans un paradoxe entre la réalité du virus et l’impossibilité de dévoiler une mauvaise nouvelle. Au fond, nous avons tous une part de responsabilité dans la résolution de cette équation inédite, celle de dépasser nos attentes individuelles et d’agir à notre niveau local dans une démarche globale.
Le troisième est de négocier avec nos idéaux. Alors conscients de la situation et de notre responsabilité, nos idéaux peuvent paraître des solutions « clef en main », absolues, potentiellement inaccessibles, qui au final ajoutent de la complexité. L’idée que tous doivent suivre les mêmes restrictions selon le principe d’égalité universelle s’adapte mal à la réalité d’un virus qui a touché chaque région à des degrés variables. On s’insurge plus facilement pour des causes utopiques qu’on ne s’implique pour la résolution de problèmes concrets. Nous avons pu voir des autorités locales manifester pour plus d’autonomie lorsque le gouvernement se montrait très centralisateur et demander plus de directives universelles lorsque le gouvernement leur a délégué du pouvoir. Au final, c’est bien un équilibre entre ces deux extrêmes qui s’est avéré être la solution la plus efficace.
Par ces épreuves, que nous devons passer individuellement et collectivement nous abandonnons les liens avec le monde d’aujourd’hui pour trouver de nouvelles solutions, plus adaptées au monde qui vient. Il s’agit de prendre du recul de façon responsable vis-à-vis de nos représentations, de nos valeurs et de nos idéaux.
La pandémie du coronavirus, au-delà d’une crise sanitaire, a été un grand révélateur de nos cultures et de leurs limites. Les pays asiatiques, aux cultures collectivistes, pour lesquels la loyauté au groupe est synonyme de protection ont été moins atteints par l’épidémie. Les pays occidentaux, plus individualistes, où la liberté et le bien-être sont des exigences fortes ont été plus touchés en raison du confinement et des restrictions plus difficiles à mettre en place. Et pourtant, nos sociétés individualistes demandent plus de solidarité, de protection, de retour au local, qui sont bien des valeurs collectives. Derrière les débats publics, les manifestations et les règles nouvelles se cachent la recherche d’un équilibre entre les opposés que sont la liberté et la protection. La crise du coronavirus, comme celle de l’environnement, interroge notre définition de liberté de responsabilité individuelle et collective.
Conclusion
Comme les mois passés, la période à venir sera dans un entre-deux, floue et incertaine.
Une société, un pays, une entreprise, une équipe sont des groupes soudés par une culture, des croyances et des représentations. Le changement du contexte remet en question ces fondements mettant en danger le groupe dans son intégrité et dans sa capacité à faire face. Décrypter la culture, ses représentations et la dynamique de transformation permet de retrouver de la hauteur de vue au-delà de ce qui est visible. Cette compréhension élargie partagée donne de la marge de manœuvre et donc du pouvoir sur la situation. Expliciter la culture, en identifier les leviers sont les fondamentaux pour construire ce chemin entre deux mondes. Vous pouvez vous aussi dépasser vos représentations et être acteur de cette transition.
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Article écrit par
Jérôme BOUQUET
Depuis 20 ans, Jérôme Bouquet fait émerger des projets d’innovation et de transformation dans des environnements contraints et aux enjeux multiples
En alliant l’analyse stratégique et la compréhension émotionnelle des situations, ces projets deviennent de nouvelles dynamiques porteuses de sens et de résultat à long terme
Conférencier à HEC, ESSEC, Science Po, CNAM
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