Innover dans un environnement contraint : c’est possible 

En 2017, des forces militaires impliquées dans diverses opérations ont remonté un certain nombre de difficultés. Elles faisaient face à des groupes qui utilisaient des technologies du commerce, tels que des drones ou autres réseaux digitaux à des fins militaires, de façon agiles et évolutives. Ces forces militaires demandent alors aux équipes d’ingénierie de trouver des solutions tout aussi agiles que celles des opposants. C’est-à-dire sur un délai court et avec le recours à des technologies du civil.
Jérôme Bouquet

Les raisons du blocage

Les équipes d’ingénierie du domaine de la Défense ne sont pas habituées à répondre à ce type de demande. Elles sont organisées, formées, structurées, réglementées pour concevoir des équipements complexes de très haute technologie sur des délais longs, avec des acteurs connus et reconnus pour leurs compétences et leur fiabilité. Pour les équipes d’ingénierie, cette demande ne pouvait pas être satisfaite et les ingénieurs affirmaient même que la requête des militaires n’était pas sérieuse, car elle ne prenait pas en compte les contraintes d’un tel projet.
Je suis sollicité lorsque cela fait près d’un an que les forces armées et les ingénieurs échangent sur le sujet, sans arriver à mettre en place un plan d’actions. Comment dépasser ce blocage ?

Mise en place d’un « défi » d’innovation

Jour 0 : En premier lieu, j’ai engagé les différents acteurs en dehors de leur cadre habituel. Pour cela, j’ai fait publier une annonce, à destination des entreprises du monde civil et militaire, pour les convier à venir à une journée de présentation d’un « défi » d’innovation. Le délai indiqué pour cet événement était très court (2 mois). Tous les acteurs internes étaient impliqués dans l’organisation de cet événement. Cette publication a coupé court aux discussions sur la pertinence de la demande. Elle a mis tous les acteurs dans une nouvelle situation : celle de trouver une solution à la demande sur un délai court.

Un nouveau mode de relation

Premier mois : La deuxième étape a été de préparer l’organisation de cet événement avec les différentes parties prenantes. J’ai créé un nouveau mode de relation entre les militaires et les ingénieurs. Chacun a pris un rôle qu’il n’avait pas l’habitude d’avoir. Les militaires n’étaient plus dans une position de demandeur, mais d’acteur : je leur ai demandé de préparer, pour l’événement « défi », un exposé de leurs situations opérationnelles à destination des entreprises civiles. Les ingénieurs ne sont alors plus ceux qui apportent la solution, mais ceux qui jouent le rôle de conseiller et d’accompagnateur des militaires et des entreprises civiles. Ils sont chargés, lors de l’événement, d’animer les réflexions des entreprises civiles et de leur partager les contraintes du domaine militaire.

L’événement comme élément déclencheur

Deuxième mois : Puis, il a fallu vendre ce « défi » à des écosystèmes du monde civil et les faire venir à l’événement. Là encore, c’est un changement notable. Habituellement, ce sont les entreprises qui vendent et l’administration qui achète. Dans ce cas, c’est le contraire. Là encore, cela a nécessité d’identifier les raisons pour ces entreprises du civil de venir contribuer à ce projet. Il est à noter qu’il n’y avait pas de promesse financière à ce stade. J’ai donc insisté sur l’ouverture au monde militaire et autres possibilités à plus long terme.
La journée de « défi » a été très riche. Quelque 80 entreprises (petites et grandes, civiles et militaires) sont venues, se sont regroupées et ont proposé des solutions innovantes auxquelles personnes ne s’attendaient. Cet événement a été un déclencheur et a permis de passer le blocage des équipes internes, faire le tri entre les contraintes intrinsèques et les contraintes liées aux habitudes. La journée de défi a permis aux différentes parties prenantes de découvrir de nouveaux acteurs, de nouvelles solutions, de mieux comprendre ce qui se cachaient derrière la demande des militaires. Ce qui était vu comme impossible deux mois avant devenait envisageable.

De la concertation à l’aboutissement

Enfin, un processus d’acquisition a été lancé en impliquant les différents acteurs, militaires, ingénieurs et entreprises. Le point de blocage avait été dépassé et je n’avais plus besoin d’être autant impliqué dans la suite du processus. Ingénieurs et militaires ont porté le projet en concertation, jusqu’à son aboutissement dans un délai court. Le contexte des différentes parties prenantes (militaire et ingénieur) avait complétement changé : chacun avait pris un nouveau rôle, une nouvelle identité et avait trouvé en lui de nouvelles ressources pour affronter cette situation inédite et ainsi relever le défi au-delà des contraintes.

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Jérôme Bouquet - photo Elisa Haberer

Article écrit par

Jérôme BOUQUET

Depuis 20 ans, Jérôme Bouquet fait émerger des projets d’innovation et de transformation dans des environnements contraints et aux enjeux multiples

En alliant l’analyse stratégique et la compréhension émotionnelle des situations, ces projets deviennent de nouvelles dynamiques porteuses de sens et de résultat à long terme

Conférencier à HEC, ESSEC, Science Po, CNAM

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